mardi 1 mai 2012

Je ne sais pas 1


1

Il y a une branche à contre jour dans le ciel bleu. C’est un soleil d’hiver. C’est le froid merveilleux de la vie, celui qui picote. C’est une image facile, elle voyage, elle déchire cette étendue parfaite. Je pleure et je pleurerai longtemps encore, une imperfection dans la porcelaine, une fêlure. La fausse note, le bruit sourd qui précède le bri. Les océans m’emportent pendant que les vagues font diversion au pied des falaises, je meurs petit à petit, l’éloignement. Je ne vous parle que d’images tristes, ils ne m’en ont pas mis d’autres à l’intérieur, je ne vois que la goutte sur la joue d’un enfant, le mensonge de vos promesses, la gerçure du froid de la solitude des toujours, je n’avais rien demandé. Dans un grincement, je ne peux employer d’autres mots que ceux-là, ceux qui expriment une douleur que je ne peux plus tenir enfermée. La chaleur des regards n’est pas suffisante, je me répète, je crie, je hurle, j’invective, vivre dans l’injustice, mais aussi, dans la beauté des corps et de leurs courbes, dans une main qui se pose délicatement, le bruit de la plume écrivant des mots d’amour. L’eau de rose et la brutalité des épines. Je ne peux pas parler de grandes choses, je ne connais rien à part les modèles que vous êtes, je vais mourir. Jeune, j’ai toujours dit que je voulais mourir jeune, je sais, il n’y a rien d’extraordinaire à cela, nous sommes beaucoup à le dire. Les arbres, la peinture, la peinture comme l’approchement de la folie, une façon de mourir, je me suis attaché. Un poteau d’angle avec des jambes de force, une clôture, un périmètre, la terre dans laquelle j’enfonce les ongles. S’étendre et laisser pleuvoir pour s’enfoncer, sans efforts, mais faire confiance au temps, se laisser happer au milieu du lopin. La suspension entre deux terres, je cherche l’image sans vouloir la définir, lui laisser le temps. Il faut s’asseoir, regarder les vieilles personnes sur les rivages des vieux cours d’eau, il faut parler et répéter inlassablement les mêmes phrases pour essayer d’enfin comprendre qu’il n’y a aucun sens. Ne pas traduire, surtout ne pas traduire, laisser à chacun son sens, le nécessaire pour continuer, continuer pour ne pas s’arrêter de croire que demain sera meilleur, même, s’il y a la déception quotidienne des images vulgaires et des odeurs nauséabondes. La magnificence des instants, la réminiscence des souvenirs, la jeunesse des vieux enfants, chercher la disparue, cette inconscience, refuser le mensonge tant qu’il se peut, dire non, surtout dire non à celui qui veut m’interdire le temps nécessaire à retrouver le premier cri. Propre, nettoyé de ce sang de la douleur, veux-tu bien m’excuser ta souffrance, nous nous sommes perdus, des oiseaux aveugles au milieu d’avions assourdissants, dans la modernité de la vitesse nous sommes obsolètes, des images jaunies, la nostalgie liée à l’imperfection des souvenirs, un ailleurs plus confortable nettoyé des exactions. Le contraste du noir et du blanc, la lumière intense de sa caresse, l’ombre des orbites, les cadavres se promènent au milieu des vivants, sans plus faire la différence nous serrons dans nos bras des squelettes de chair. Macabre, j’entends d’ici, le cimetière des émotions, les camisoles dans la folie des barricades, il en meure tous les jours des « mère courage ». Je pleure comme un homme peut le faire sur l’injustice qu’il ne peut pas enrayer et le sentiment de culpabilité qui en découle, voir et entendre devient trop difficile dans la transparence de la porcelaine brisante. Une lame d’acier vibratile, je me tords dans le ressenti de la somme de mon inaptitude à être parmi vous et le paradoxe de ne pouvoir partir, de rester malgré tout l’inconfort, vous faites parties de ma vie et pas encore de ma mort. Je pense à d’autres hommes que je reconnais parfois dans le fond des yeux, à ceux-là qui dans le silence avancent sans savoir ce qui les tient debout. Le quai d’une gare dans le matin d’un hiver rude, le souffle, une écharpe, les mains dans les poches, regarde, tu vois les signaux lumineux là-bas, ce rouge flou du froid qui l’entoure, la caillasse anguleuse des voies et la promesse du voyage, la perspective, le départ comme la promesse d’un meilleur. Je n’ai pas tout dit dans la suspension.

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