35
jeudi 31 mai 2012
Je ne sais pas 35
mercredi 30 mai 2012
Je ne sais pas 34
34
mardi 29 mai 2012
Je ne sais pas 33
33
Dans la nécessité, ne pouvant faire autrement,
dans la nécessité venir ou aller, absolument et pas autrement, si tu viens,
viens absolument ou ne viens pas, ne viens pas, rester seul c’est mieux, nous
nous décevrons de toutes les façons car nous attendrons, n’y allons pas,
restons là où nous en sommes sans croire que nous pourrions rencontrer
l’inconnu, s’enfermer afin d’éviter les déceptions, les infortunes, rien à
prendre, il n’y a rien à prendre, ne viens pas, il faudra se déchaîner, nous
n’aurons pas le temps et encore moins l’énergie de tomber les masques, ne viens
pas, il faudra se déshabiller et il fait froid, c’est l’hiver par ici, l’hiver,
l’hiver, dans la générosité nous ferions semblants d’avoir chauds, semblants,
dans l’insupportable mascarade, nous resterons dans les camisoles, cries, hurle
ta libération, seuls, ne nous chargeons pas des déguisements, nous punaisons
des dessins d’enfants sur les murs de l’isolement dans les prisons de velours,
dans l’onctuosité d’une porte fermée, seuls malgré la présence, ne viens pas,
le souvenir de ton odeur, l’odeur, la somme de ce qui se cache dans les plis,
la dissimulation, sentir pour voir, dans l’urgence de répondre à la priorité,
animal dans le sang chaud des canines, l’enfant cherchant le sein, la privation
nécessaire, l’arrachement, libérateur, seuls, seul, accroupi dans le
vomissement, ne viens pas.
lundi 28 mai 2012
Je ne sais pas 3
32
Attendre que quelque chose se passe, ne pas
partir, attendre, accepter la tâche, dans la colère de ne pas y arriver, en
vouloir même aux lumières des fenêtres, il faut que tout aille fort, vite, il
faut quelque chose dans cette attente insupportable, rien ne peut venir du
dehors, chanter la bouche ouverte, le dedans, le dedans, dans la nécessité,
l’urgence, prendre ce temps dans l’urgence, le temps nécessaire à l’éclosion,
ne rien galvauder dans la vulgarité, embellir dans la solitude, un trait rouge,
des visages illusoires dans le sourire des vitrines abandonnées, une image
arrêtée, entre ombre et lumière, le portrait proche et loin à la fois,
tellement loin, se perdre, se perdre et décevoir, se tenir là malgré,
incomplets.
dimanche 27 mai 2012
Je ne sais pas 31
31
samedi 26 mai 2012
Je ne sais pas 30
30
vendredi 25 mai 2012
Je ne sais pas 29
29
Le dos, dans la voûte, au bord de la falaise,
le dos, dans le cri des oiseaux, l’horizon dans la fixité du corps, le vacillement
dans l’opposition, le vent, la tôle rouillée, sourd d’une pulsation, incapable
d’entendre le grincement, l’érosion lente, les mâchoires de l’étau qui serrent,
le temps, l’écoulement des rigoles, le remplissage des bassines, les poignées
d’agrippement, se tenir, tenir dans l’opposition, autant de marques, des
stries, le départ, trop lourd, bien trop lourd. Les sentiers abruptes dans
l’ascension, étroits, dans l’articulation des chevilles les hommes marchent au
bord, dos à la terre, plus loin que la pointe, l’envergure, l’avancée, la
progression, à la recherche de l’enfant, le premier cri, nu de ce qui encombre,
les omoplates et la nuque, la nuque dans la coupure, les conversations abrégées
dans la précocité de l’essoufflement, la peau coincée dans la fermeture éclair,
la douleur, le mouvement des villes abandonnées, les pierres brisent les vitres
dans l’arrachement des enseignes, un homme de dos au bord, un balcon sans
garde-fous dans le déchaussement des pierres, le marbre, essouffler alors que
rien n’a commencé, froid, froid, sur le plongeoir dans le bleu délavé du fond,
les jambes ballantes, assis, là, dans l’intensité du dos, attendant l’impulsion
d’un mouvement, le ressac, la déflagration, un constat d’inertie, le verdict du
chemin parcouru, la chambre d’un hôtel résonnant, suranné, l’absence de la
présence passée, ils se balancent les hommes pendules, dans le décompte de ce
qui reste, l’inventaire des solitudes ordinaires, il n’y a plus mais il reste.
jeudi 24 mai 2012
Je ne sais pas 28
28
Une paire de ciseaux coupant la cellophane, des
gouttes de sang, une ville magnifique dans le petit matin silencieux et
brumeux, des œuvres d’art anonymes sans la lumière du jour, le bruit des
talons, un rythme, une silhouette, un pont, un homme traversant, la nostalgie
d’un endroit connu et quitté, un retour avec l’impression de ne pas être parti,
une nostalgie inutile dans l’aiguisement des sensations, un rejet, les eaux du
fleuve, des gouttes de larmes, un débordement intime, entre le sourire d’être
vivant et la volonté d’être mort, le courage manque dans la sobriété
rigoureuse, une ligne, un trait, des éraflures peut-être, un corps dans la
limite de l’enveloppe, une image, ils se résument à peu de choses le temps,
celui qui passe sans le mesurer, celui qui passe dans les paroles anodines, les
paroles, ce qu’il y a au fond des nuits, l’insomnie sensitive, un ressenti permanent, vibratile, attentif, les
passages cloutés des grands boulevards, la vitesse, les rires, au milieu des
autres malgré moi, une douleur nécessaire peut-être, une douleur dans la
négligence de ce que nous sommes, se dire jusqu’au bout, se dire loin du récit,
dans le rapprochement des peaux, dans l’odeur des aisselles, ce qui nous
dégoûte nous rapproche de nous, le vinaigre. Il y en a qui partent et d’autres
qui restent, dans la temporisation, il y en a qui veulent s’enfuir et d’autres
qui veulent revenir, un balancier, le va et vient, il y en a que l’on aime et
d’autres que l’on aime plus, pour toujours ou par caprices, il y a des paroles
en l’air et des frappes aériennes, des avions qui emmènent et qui débarquent,
il y a des petits bateaux, la coquille qui protège le fruit, les membres que
l’on brise dans la soudure métallique d’un chantier naval, les vagues sur la
coque, des croisières, le détestement du mot rêve, une moisissure sur la
réalité de la débauche comme autant de paroles inutiles sur l’inconnue des
jours qui suivent, les jours qui suivent, en être sans en faire partie, la
culpabilité qui en découle, coupable de ne pas comprendre les enjeux, nu, ni
mieux ni moins bien, nu dans la tentative de ne pas céder à la colère, se
retenir pendant que les portes et les volets claquent aux vents que les hommes
affrontent sans mesurer l’impact, l’enjeu, prêts à tout pour la condition d’un
seul au détriment de combien d’autres, les autres, le cercle, loin de l’intime
et son désordre. Un fil discontinu, une coulée dessinant un trait rouge sur un
visage, la beauté de la blessure, l’œil rougi de la douleur, les frontières se
dessinent dans la négation de la souffrance de l’individu, dans la torsion, la
vrille. Il y a des regards insoutenables. Les enjeux. Il y a de la violence qui
ne se marque pas sur les corps, des êtres abasourdis, dans la lobotomie
hiérarchique, des immeubles à étages, des tours extravagantes, extravagantes,
extravagantes et fixes au milieu des êtres qui marchent à leur pied dans le
vertige des sommets inaccessibles, dans l’étrangeté quotidienne d’un soleil qui
continue à nous éclairer, dans les parcs ombragés où les bacs à sable et les
plaines de jeux résonnent de cris de joie, il y a des hommes qui pleurent les
femmes qui bercent les enfants pour qu’ils s’endorment enfin, il y a ceux pour
qui tout va bien et c’est tant mieux, heureusement qu’ils sont là, ceux-là, au
milieu des oiseaux, loin des obstacles et dans l’émerveillement de ce qu’il y
a, rien de plus. Et il y a moi, quel est mon enjeu à vous regarder si fort,
peut-être trouver une réponse à ma dysfonction, plus égoïste encore, non,
coupable de prendre et dans la tentative de rendre tant bien que mal dans ma
réalité tronquée de la vôtre, insuffisant d’envergure peut-être pour
ambitionner autre chose qu’ajouter du temps à du temps, l’enjeu où se
trouve-t-il. Dans l’excuse du regard que je porte, l’écriture comme un filtre
d’amour au milieu des colères, la seule manière de vous dire absolument sans
que l’image implique quoi que ce soit, je ne suis personne excepté celui qui
tente de vous dire, un personnage pour certains, une personne pour d’autres,
est-il possible de faire la part des enjeux dans l’inconscience de qui nous
sommes réellement. La beauté n’apparaît qu’au milieu de la laideur, dans le
commun du quotidien, il suffit de la prendre, elle s’approprie sans difficultés
puisque ce que vous regardez reste inconscient de sa beauté, dès qu’il y a
conscience, elle disparaît dans le passé ou le futur mais elle n’est plus
présente, l’évanouissement, l’évaluation personnelle de la quantité d’espoir
qu’il me reste par l’émerveillement du temps qui se suspend, sa fréquence et
son absence de valeur, le voilà l’enjeu, l’émerveillement sans la valeur de ce
que je regarde, dans la fidélité du chien à son maître, je serai toujours
derrière la porte, toujours.
mercredi 23 mai 2012
Je ne sais pas 27
27
mardi 22 mai 2012
Je ne sais pas 26
26
Dans l’agitement autour, au bord des fleuves
qui traversent les villes, comme des ventres engloutissent, dans la vitesse du
courant caressant les berges où attendent des bancs gravés des prénoms des
enfants qui s’embrassent, grandir dans la mélancolie des flots, se laisser
aller à la musique des profondeurs sombres, opaques, dans la lassitude du temps
rythmée par les trains remplis de passagers en mouvement, à contre-courant,
dans le délaissement des arbres qui s’effondrent, des branches qui baignent les
bourgeons d’un printemps, dans l’attente il reste les saisons, des marquantes,
nous perdons du terrain, je voudrais revenir là le dernier jour, le dernier
jour. Donne de la voix, entendre, crie, vivre, dans la bousculade des émotions,
dans les larmes, je verse sans m’en plaindre, je ne veux pas être aride, il me
reste, il me reste de la jeunesse, du bois vert, aime dans ce temps qu’il te
reste, dans le remugle des fonds vaseux, dans les roseaux des eaux tranquilles,
sur les embarcadères des bateaux de plaisance, dans la traversée, une brasse
coulée, dans ces corps jeunes, sur les bancs impudiques, quelques lettres et un
cœur, à jamais, à jamais. Je veux me souvenir que tout est possible, de ce
moment où nous ne savions pas en croyant qu’un jour nous saurions, jamais, je
veux courir dans les flaques laissées par la pluie, chuter le genou écorché, ne
pas avoir peur du rouge qui coule de mon corps, le sang d’une jeunesse, dans la
décrue, vers l’embouchure, il n’est pas trop tard, jamais, je veux vivre,
brûler encore, me réjouir des humeurs fluctuantes, des paradoxes, l’enfance de
l’art, les colères, toute l’injustice de dire ce que je ne pense pas, demander
pardon, pardon. Je me souviens de vous, de tout ça que nous n’étions pas, il y
a des vies qui se jouent sans savoir, nous aurions pu mourir, nous sommes
vivants, loin les uns des autres, sans comprendre, il reste le fleuve et ses
virages, toute cette sauvagerie du trop plein, la fougue, les lieux-dits se
rappellent à la mémoire liée au fleuve, les écluses comme autant d’étapes, les
rives comme une escorte, le halage sur lequel nous regardions passer les
bateaux, les péniches, un ancrage, une amarre. Je suis venu m’asseoir.
lundi 21 mai 2012
Je ne sais pas 25
25
Des chemins, des lignes droites dans
l’entremêlement des carrefours, en être là, dans l’avalement, la déglutition,
dans la limite du sens des mots, au milieu des sentiments abstraits, ne plus
rien savoir, s’enfermer pour ne plus entendre et voir, l’érosion, l’usure d’un
homme à la porte des mélancolies, dans la volonté de s’asseoir et de continuer
à parler envers et contre lui, il regarde ses mains de chair, vulnérable,
emprunt de sentiments inextricables, dans le doute de ce que nous sommes les
uns pour les autres.
dimanche 20 mai 2012
Je ne sais pas 24
24
Deux murs qui se rejoignent forment un angle, une
arête. Des jours de larmes, la sécheresse d’un morceau de pain, abrasif, un
goût amer, l’agrume. Seul, des gens s’asseyent, seul dans le mouvement de ce
qui se déchaîne, dans le grondement du chien endormi, dans le brûlant des
gorges il y a la bile. Une pierre jetée dans la vitre, de l’intérieur, pour
s’enfuir des portes. Il n’y a plus rien, excepté ce que d’autres prennent, que
des yeux, des yeux. Les enfants dans la dégoulinance des eaux usées,
l’industrie des corps sans âmes, debout, dans la défiance des jours qui se
suivent, la projection contre les murs dans le démembrement des corps criant à
gorges déployées je suis un être humain, une pliure dans l’indicible craquement
de la matière, abasourdi comme la lumière ne trouvant plus le jour, ils
déambulent, un défilé de corps décharnés
dans les alarmes des volets métalliques peut-être. Les oiseaux sur les
branches, dans l’odeur des sentiers humides décomposant lentement les feuilles
mortes, la boue, dans la saturation, un débordement.
Je ne sais pas 23
23
Une explosion, un homme attaché, des piquets, la
voix se pose, il chante, il chante dans la fixité de l’emprisonnement à la
tâche et aux charges, l’explosive. Il en faut du temps. Ils s’écoulent sur les
plages aux ventres ronds des enfants de famine, les larmes des coupables,
l’injustice peut-être, les oiseaux continuent à affronter les éléments, le lot
quotidien, les mains se desserrent laissant la dérive dans l’inconnue des
océans, Ils vomissent des poissons de surface, des mers d’huile dans
l’abstraction des responsables, dans un chavirement au son de la musique des
plaintes, un tango, rouge flamboyant, le sourire d’une photographie dans l’urgence
du moment, une plage, le dénouement. Une femme regarde un homme en pensant à
l’enfant. L’orchestre joue dans le fond du bar, le souvenir enjolivé, la
mélancolie, prends-moi dans tes bras dans l’urgence des pas qui s’éloignent
déjà, nous pourrions mourir, un jour il faudra. Certaines femmes aiment qu’on
les regarde, et des hommes obtempèrent dans un accord tacite de ne toucher à
rien, une image, un roulement de tambour, la suspension, l’instant d’un regard
sans l’empreinte de la main, une trêve dans l’inacceptable vitesse quotidienne
des délaissements. Le chien se couche derrière la porte. Un sourire, un jour
comme de l’ouate dans du mercurochrome.
samedi 19 mai 2012
Je ne sais pas 22
22
Au petit du jour qui vient, suivant de celui
qui précède, des événements dans les fils d’attente, quel chamboulement, à quoi
doit-on s’attendre dans le possible de tout, le meilleur peut-être, c’est
aujourd’hui que des millions vont naître, remplaçant dans la joie ceux-là qui
attendent de partir, combien naissent pour un qui part ou inversement tout
dépend ce que l’on attend. La vie, d’accord ou pas d’accord, un matin comme
tant d’autres avant, le chien déjà présent, fidèle, une ombre presque, la
caresse comme machinale, jusque-là rien de bien extravagant à cette journée qui
se met en branle, au milieu des incendies, des feux de forêts d’hommes et de
femmes, un quotidien confortable en somme, confortable. La fidélité comme une
récurrence, non, comme la volonté consciente de ne pas s’attacher, se libérer
des mensonges, factice, contrefaçon, des mots, des mots pour dire le refus de
s’aliéner les uns aux autres dans des promesses vaines, si tu dis tu fais, déjà
quelque chose change. Il n’y a toujours pas de lumière, quelqu’un dort dans la
pièce adjacente et inaccessible, des êtres humains empilés sans se connaître,
dans des tours déchirantes, les maisons d’hier divisés en appartements
d’aujourd’hui, toujours plus petit, dans le craquement des flammes comme des
corps qui s’entrechoquent de tout ce qui les sépare dans une superficie
restreinte, derrière les murs des drames et des bonheurs, un jour comme un
autre, l’addition qui fait la somme, l’instinct quotidien que le temps s’écoule
au milieu des sentiments, des mots, le silence avant l’urbanité des
croisements. Peindre le dimanche.
vendredi 18 mai 2012
Je ne sais pas 21
21
La solitude nécessaire à voir, la solitude
comme la possibilité des autres alentours, la solitude afin d’accepter l’interférence,
la solitude pour mieux se retrouver, partir, courir comme l’enfant, léger de
vous, apprendre à nouveau sourd de tout ça, léger de la carcasse et des
encombrements, de ce qui jonche les routes comme autant d’obstacles pour se
rejoindre, le temps, le compte ou le décompte, ce qu’il nous reste, le reste
comme la monnaie de ce que nous avons eu. Le miroir reflète les portes qui
claquent. Le souvenir des fauteuils, de vous et de moi, nous entourant dans la
chaleur d’une pièce, dans l’absence comme une éviction volontaire, s’extraire
de ce qui entoure pour être au plus près de ce que nous pensons être, assis
dans du velours, les images défilent dans l’impalpable sérénité des émissions
de chansons, tout sourire, je ne sais pas, je ne peux pas. L’intimité offre
l’inconfort des variations, la surprise des absences, intimes, les excuses sans
explications, se permettre, non, l’incapacité, refuser les excuses, l’addition,
des calculs, incapable, la rigidité d’une camisole, impossible d’éviter les
coups, le butoir, les corps. L’impression d’avoir tout donné alors qu’il en
reste encore, pourquoi se satisfaire, plus loin toujours plus loin, la
difficulté de l’exigence, une douleur presque, l’humanité dans l’odeur des
marées abondantes. Nous nous appartenons à jamais, indélébile des
embrassements, des étreintes, même dans l’éloignement, dans l’absence il reste
les calculs, cette volonté d’être aimé, aimés. Ne pas s’habituer, refuser la
compassion d’un regard qui dit vous comprendre, noyé dans une piscine, un corps
flou sur le bleu du carrelage, dans le brou des feuilles macérées, l’hiver,
l’hiver devant le feu d’une cheminée sans savoir ce qui nous y rassemble,
l’intérieur amniotique comme une évidence, une évidence, aveugle dès la
naissance.
jeudi 17 mai 2012
Je ne sais pas 20
20
Est-il possible. Est-il possible de se tenir au
bord de la falaise le regard haut, le front volontaire, libéré de la charge de
ce qui précède à notre insu, souvent rongé par cette peur de savoir et de
s’être trompé, ce que nous savons au plus profond bien avant l’obstacle, les
remords de n’être pas ce que vous attendiez, vouloir tellement vous contenter,
tellement à s’en oublier, s’en oublier, ne sachant plus où regarder, ne sachant
plus entendre sa respiration même, se répéter comme pour se convaincre, sans
cesse, la folie douce que de remplir une fonction plutôt qu’une autre, se poser
des questions, des questions à la suite des autres, un mouvement perpétuel.
Comment faire pour avancer libre au milieu des contraintes, libérer les mains
pour enfin les embrasser, les glisser sur les visages, se laisser caresser sans
en attendre plus des autres, les caresses dans la bagarre quotidienne, la bagarre
pour émerger où d’autres submergent, l’ambition peut-être, inutile ou
irraisonnée, la déraison de croire en cela que nous sommes, une entité
singulière dans une masse globale. Etre au pied de cette falaise et regarder
l’éperon rocheux avec envie, comme si cette place était la nôtre, l’accession,
mais il faudra grimper, apprendre, il faudra du temps, du temps, toujours le
temps, est-ce le perdre que de vouloir accéder à ce que nous ressentons comme
dû, coupable d’avouer les ambitions, les ambitions, le travail intimement lié,
la chute, comme pas prêt encore, pas prêt, ou insuffisant, insuffisant, quel
mot. Un rappel, qualificatif du paradoxe entre le potentiel et le travail réel,
dépasser ce point de maîtrise pour enfin se mettre à transpirer, le porte-à-faux,
l’inconfort, la délicatesse, le risque certainement, la fainéantise, le visage
se tourne en écrivant ce mot, honteux de savoir qu’il est approprié peut-être,
un regret de n’avoir pas, dans la maladresse de ne savoir pas, trop tard
peut-être pour trouver la voie, tous ces doutes me tuent et détruisent le
travail accompli comme une mémoire défaillante ne se souvenant de rien, un
effacement. Un effacement malgré la conscience de ce souhait de vous rejoindre
la haut, sur le pic et de regarder loin, l’horizon, l’horizon et ne rien sentir
vous arrêter, exulter dans la fougue d’un homme en liberté, la liberté dans une
cour grillagée, très jeune déjà le long du cours d’eau je voulais m’échapper,
partir où vous ne me retrouveriez pas, vous faire souffrir de la même
souffrance ressentie de n’être que là où je me trouvais, je rêvais de tellement
plus que cette respectabilité de pacotille qui reconnaît le courage des hommes,
j’aurais voulu que vous ayez peur de moi, que vous craigniez mon départ, que
vous ayez peur de me perdre, alors que je ressentais que mon absence n’aurait
rien changé, me demandant sans cesse pourquoi rester, sans le retentissement
espéré, celui de la naissance peut-être. Intime présomption d’y être malgré
eux, une présence inopportune, le démenti de la vie pour la vie, comme si la
mort faisait partie de moi dès le premier jour, comme si le rêve n’était pas
moi, un ailleurs au milieu de ce que je représentais, un empêcheur, dans les
pieds, alors souvent je me suis vu sur cette colline revenir en vainqueur et
terrorisé cette région qui n’avait pas su reconnaître en moi l’avenir, c’est
terrible, ceci justifierait l’erreur de mon parcours, tout ce chemin pour en
revenir là, au point de départ mais pire, un constat d’impuissance, l’échec, je
voulais être chef et je ne suis même pas soldat, est-il possible de continuer.
Une entité, seul, inconscient de l’amour à l’entour, cruel pour ceux-là, le
voilà mon éperon rocheux, l’amour dont je prive ceux qui me l’offrent,
l’injustice quotidienne de la frustration d’un homme seul, tout ça comme un
aveu vulgaire, il ne manquerait plus que je me mette à pleurer. C’est le moment
de reprendre la route, il faut que je travaille car il me reste la dignité de
n’être que celui-là que je suis, dans la posture douloureuse d’un corps figé
dans la lave. Et au milieu de tout ça il y a la beauté du jour, le cri.
Je ne sais pas 19
19
Le mutisme, les nuances de gris, un ciel, une
percée blanche, éblouissante dans le silence, les traces sur une fenêtre. Ne
rien dire, trop, il y a toujours trop. Dans les courbatures d’un corps,
attendre, sans savoir, un signe, une avalanche, se contraindre dans la liberté
de ne pas bouger, accepter d’être dégueulasse, les cris dans le cristal des
lustres, les corps dans la transparence des peaux, un tourbillon dans la fixité
trouble du regard. Des chaises comme des sculptures, l’émotion, l’intimité de
l’usuel, le quotidien dans le temps de l’extraordinaire, l’intime, dans
l’entendement nécessaire, l’invitation, dans la difficulté de rester, partir,
non rester, rester. Le temps, les visages, ceux d’hier que l’on mélange à ceux
d’aujourd’hui, la nostalgie, la peur, l’inconfort, ne rien savoir, le vide, un
gouffre, le vertige.
mercredi 16 mai 2012
Je ne sais pas 17
17
Une vie, attends, un bruit, attendre quelque
chose sans savoir, l’inertie, un caillou, l’écho, une croix, une campagne, les
blés écrasés, l’évocation de quelque chose peut-être, loin, le corps dans
l’humidité, une gerçure, les mains douloureuses, des épaules chargées, le
poids, l’effort se marque dans les commissures de la bouche, une tension,
l’infusion à la chaleur de l’eau, le corps coule dans le fond aveugle et sourd.
Les sacs plastiques au vent s’accrochent dans les branches des arbres, les
sourires des femmes sont tristes parfois, l’infusion de ce que l’on ne sait
pas, l’inconnue dans le bruit des autres, un effort sans pareil, l’envie de
partir mais il faut rester, rester, rester, dans l’ancrage quotidien, dans ce
qui nous retient, la peur et les bons moments, ailleurs il y a des sacs
plastiques qui portent des vies, la roue, la langue, le remugle de l’inconnue,
des visages tannés, la crainte de n’être pas aimé ou moins encore, reproduire
l’écueil des erreurs séductrices de celui que je ne suis pas mais que je force,
la vie, l’intégration, faire partie, absolument faire partie.
mardi 15 mai 2012
Je ne sais pas 16
16
Dans l’encoignure, une plinthe et le carrelage,
l’endroit où se niche la crasse, les résidus, les restes. Un biscuit sablé que
l’on trempe dans le café, dans le fond de la tasse, la soucoupe ébréchée sur
une nappe tachée, des auréoles comme des traces d’hier, c’est la cuisine, la
cuisine et sa table, parler d’une vie, de celle-là qui traverse, la solitude du
plancher, le vernis vieilli, les fauteuils fatigués dans un autre coin, la
tapisserie noircie, le temps, toujours le temps, le temps, regarde toute
l’inaccessibilité qui sépare, dans les questions qui effraient de la
verticalité de la paroi, la réponse qui n’en est pas une, le nuage sucré, la
voix du chanteur préféré, le soleil dans les carreaux éclaire la poussière sur
le sol. L’habitude du regard à se frayer un chemin, l’imbroglio, ce à quoi on
s’accroche, loin de la ligne, le souvenir de la maison de l’enfance et de son
chaos, le vide, le vide pour vivre, un monde ailleurs, loin des gémissements de
la vie, de cet animal qui meurt péniblement, de l’épanchement des misères, de
la reconstruction d’un autre monde, à la recherche du sens, le sens, les
aiguilles de la montre, vertical, verticale. La fenêtre, l’objectif,
s’extraire, s’inventer autre et ailleurs, la course, l’évasion, la fuite à
travers, effrayer de devenir, l’oppression, immortel de cette chevauchée
fantastique, les bras courts, les manches relevés, la transpiration le long de
l’échine, ferme les yeux, les herbes te piquent les jambes nues, toute la
colère dans les poches de ce bermuda, ces points rageurs que l’on serre et
qu’ils ne voient pas, ces coups de poing, les douleurs que l’on s’impose, la
table soulève les poussières des jours passés, rares sont les retours, la mort,
et tout ça malgré l’amour. Dans les visages la peine, le sang, le silence de
toutes ces peines étendues sur les lèvres inertes, la vie muette de ceux que
l’on ne connaît jamais, de ces passants, du hasard presque, le hasard, une nuit
de brouillard sur les rives du fleuve, le lit comme un berceau, la couleur de
l’eau, une mélancolique coulante dans le courant des bateaux, pas des bateaux,
des péniches de transport, ici il n’y a pas de plaisance, un peu parce qu’il
faut bien rire, des berges, le halage où les chevaux usés tiraient la charge
des barges trop lourdes, il y a longtemps. C’est là, dans le long du fleuve,
juste avant le pont, là, pas ailleurs, l’enfant assis à cette table des
adultes, il doit se taire comme s’il n’entendait pas.
Je ne sais pas 15
15
Une fermeture, un corps enclavé dans
l’étourdissement de ses convictions, la crispation autour de l’amalgame, une
soudure, fœtale de la naissance, naître aux influences inévitables, les piquets
d’une clôture restent une limite dans l’absence du fil, influée sans être
marquée, la chape. L’œuvre reste incomplète de la raison qui a poussé son
auteur à la réaliser.
lundi 14 mai 2012
Je ne sais pas 14
14
Des chaises suspendues à des filins dans un ciel
gris, il n’y a pas de places, des chaises, sur l’air comme des voiles, du
papier translucide adoucissant la grisaille des jours, l’étonnement d’un objet
détourné de sa fonction, le quotidien devenu extraordinaire, multicolore, des
taches de couleurs dans la morosité, le sourire des passants, une robe de
mariée avec du tulle, une danseuse, les pointes à la rambarde de l’escalier de
la gare, la beauté d’une peau fardée pour la représentation, l’extraordinaire
de l’imagination nécessaire au voyage quand il ne reste rien, des enfants
jouent à la guerre sous les bombes, des cerfs-volants côtoient les larmes des soldats,
dans l’insouciance quotidienne de certains d’autres se déchirent, c’est comme
ça, dans la fatalité nécessaire pour que ça continue, dans l’explosion
journalière de la colère de ces hommes qui crient la rancœur et de ces femmes
qui pleurent la douleur des enfants. La clarté d’un nouveau jour, une éclosion
dans toute cette difficulté, les fleurs au milieu des décombres, il reste
toujours quelque chose, une trace dans la déflagration, un tremblement, la
terre foulée par les pieds nus des enfants, des lambeaux, des debouts qui
ramassent les couchés, cette volonté incroyable de vouloir malgré tout
reconstruire, effacer le délabrement, de la chaux vive sur les mémoires des
caves humides et odorantes. Le temps saccade, des convulsions, une
réminiscence, la somme de l’inconnue qui compose la poésie de chacun, le corps
en branle, des pas à la suite d’autres pas, le tempo dans le rythme des vies
croisées, la fumée de cigarette par la bouche ou par le nez. Le tracé des
lettres sur des lignes de papier, des oiseaux comme des cocottes, voir plus
loin que le premier plan, lire plus loin que l’imprimé, une radiographie
au-delà de la chair, les os, la fracture, la calcification, la charpente de
l’image que l’on représente aux yeux des autres, la structure portante. Dans la
suspension des chaises vides, les balançoires aux arbres des oiseaux sur la
colline des enfants, près du ciel, juste là, à portée de voix, dans la
discrétion de l’oreille, un chuchotement. Le secret peut-être, j’attends le
temps nécessaire, un décompte, peut-être jamais, mais je ne veux pas ne pas
entendre alors je me tais. Un rouge-gorge.
dimanche 13 mai 2012
Je ne sais pas 13
13
Toutes ces questions, des questions, tout ce qui
brûle, les réponses comme des affirmations, dans l’empreinte du doute, je
marche dans la trace gelée du précédent, dans le craquement, la brisure du gel,
l’éloignement des plaques dans un mouvement lent et presque silencieux,
silencieux à celui qui ne veut pas entendre. Nous nous éloignons sans pouvoir
oublier l’origine, là d’où nous venons, une répulsion naturelle, l’épine, pas
tous, pas tous. Des histoires sans parole, le son d’une horloge et le temps, le
temps, une scie, un ruban. Je cherche à trouver au-delà du premier plan,
l’évidence, l’image que vous voulez que je voie, j’en cherche une autre, une
raison comme une excuse à cet état, le piano d’une mélancolie étrangère mais
proche, le temps nécessaire et minimum pour atteindre, se laisser porter dans
une confiance aveugle. Une femme étendue dans la neige, des lèvres rouge sang,
toute la cruauté du désir, un froid qui enrobe un corps nu, une cruelle beauté
dans le givre de l’image, la buée sur le carreau, tu t’éloignes, ne me laisse
pas, les mains froides et douloureuses de l’absence, je rêve des femmes parce
que je suis un homme, la générosité d’un abandon dans l’électricité des nuits,
n’éteins pas je veux continuer à nous voir, les ombres exultent dans des lits
drapés de blanc, ils s’aiment dans les nocturnes éclaboussantes, les incendies.
samedi 12 mai 2012
Je ne sais pas 12
12
Tout se range dans des caisses et se pose sur des
tables bancales, le balancement imparfait sur l’instable du moment, les
approximations, l’imprécision des errements, on ne peut pas savoir, je ne suis
pas celui qui sait, je découvre sans cesse, j’oublie volontairement ce que je
sais pour continuer à découvrir, la richesse quotidienne de mon ignorance,
l’ignorance, ne me demande pas je ne sais pas, il n’y a pas de réponses à
attendre, et si toi tu sais ne me dis rien, ne me dis rien, ne m’imprime pas de
toute ta perfection, laisse-moi imparfait, vivant des erreurs dans un monde
d’horreurs et d’émerveillements, je me nettoie les yeux avec l’eau fraîche que
tu tiens dans les mains, sourde de cette pierre, un jaillissement comme une
porte qui s’ouvre sur la lumière quand le noir fait peur. Les mains froides
d’un enfant que l’on serre pour les réchauffer tout en acceptant qu’il refuse
ce réconfort, l’autonomie des découvertes, ne pas prévenir sans cesse, la
conscience, s’abstraire pour ne pas être indispensable, l’abnégation.
vendredi 11 mai 2012
Je ne sais pas 11
11
Les cercles annuels d’un tronc, le vieillissement,
l’avancée dans le temps, le souvenir de ce qui passe, le nœud de la branche
arrachée, dans l’impalpable de la neige comme du sucre sur les cheveux. Les
gens, ceux du matin, les histoires, il y a des histoires, des belles et des
moins belles, aussi de très laides, des atroces, il y a des voix qui parlent.
Le point de départ, doit on tout savoir, se nettoyer de ce que nous savons,
refuser d’être le filtre de la voix des autres, chercher la sienne, propre de
tout ça, trouver le sens. Les fausses fourrures habillent les femmes comme de
faux animaux, les guitares sont électriques parfois, les journaux noircissent
les doigts, les doigts d’une main faite pour la caresse sur les visages, les
ongles noircis des enfants qui jouent dans la terre. Les efforts nécessaires
pour trouver la poésie dans l’image d’un jour sombre, le recueil comme un
carnet du fond de la poche, le crayonnement des sentiments quotidiens, capter
le ressenti, ne pas le laisser s’échapper, une trace comme un cercle. Les
hommes regardent les femmes sans les affronter, déjà ils biaisent, dans
l’intensité d’une courbe qui se moule dans des justes aux corps impossibles à
soutenir, les artifices et la mèche, les cheveux et la coloration, être
regardé, le spectacle des défilés des visages que nous oublierons, l’intensité,
l’insoutenable de ce que nous ne serons jamais, la beauté d’un corps nu offrant
l’espoir de la vie dans un envol lyrique, le réceptacle de nos orages. Des
couleurs dans une image, le rouge souvent, comme des petits chaperons, le rouge
dans la grisaille climatique, l’œil en éveil dans l’endormissement des saisons,
un halo flou, une sensation de vie, la couture sur les trottoirs des villes.
Les flaques au pied des bancs publics, les gravures, le passage de celui-là qui
voulait dire sans savoir ou et comment, un prénom abîmé sur une planche comme
une épave sur une plage, l’abandon du temps, l’usure, la lame se brise dans le
bois dur ou dans l’écume. Les poissons volants discutent avec les oiseaux
nageurs. Dans impossible il y a possible, la pugnacité, possible absolument, le
ressac, y revenir jusqu’à l’envol, l’éloignement vers d’autres horizons, la liberté
de croire, le possible à contrario, l’amour envers et contre, le mouvement dans
le refus de l’immobilisme, le progrès antidote de la colère, il nous
appartient, responsables pour ne pas être coupable, le carnet des crayonnés,
les visages dessinés dans la recherche illusoire du trait, de celui que je
voulais dessiner, pas le modèle il ne m’intéresse pas, je cherche une vérité,
une seule, celle de ses yeux, dans la giclure inesthétique, sans la gomme,
chaque trait faisant partie des rides du temps, l’ondulation provoquée par le
geste brusque, imprimée. Il y a des roulettes qui portent le poids de ce qui ne
veut plus marcher, des caddies tirés par des mains serrant une poignée, il faut
se tenir dans l’avancement, sans la rue tout ceci n’existerait pas, sans les
cents pas, la promenade comme une ligne de conduite, la recherche du filon à
exploiter dans les croisements des solitudes élémentaires qui nous poussent à
regarder le sol par peur de devoir se voir, les hommes regardent les femmes de
travers pendant qu’elles s’enfuient apeurées, reviens, je voudrais te dire
comme tu es belle rien de plus, que l’on s’y prend mal, les vulgarités de la
marche quotidienne, le rouleau compresseur des lieux communs dans la
singularité de chacun, l’incompréhension du jeu qui s’installe à l’insu,
l’éclipse. Je ne sais plus ce que je dis, mais je suis là, dans
l’émerveillement de ce que nous sommes et que nous laissons transparaître, ce
que nous ne savons pas et que d’autres regardent, spectateurs de nous dans
l’intensité de la non représentation, la présence malgré nous, des images
fortes, l’eau des rivières sous le soleil d’été, la sensation froide sur des
chevilles abîmées de porter celui-là qui se repose sans s’arrêter, le mouvement
dans la statique du corps, les images assemblées, j’accepte les marques du
temps qui me vieillit, j’appréhende ce visage avec des yeux d’enfant, des
traits supplémentaires dans le carnet aux images, des milliers de dessins dans
les jours grisonnants, l’obsession quotidienne de trouver ce que je ne cherche
pas, curieux, naïf de ce que je veux garder en mouvement, les oiseaux.
jeudi 10 mai 2012
Je ne sais pas 10
10
Il y a des langues dans des bouches. Des êtres
étanches dont rien ne coule. Des odeurs. Un genre que l’on donne, des gifles
que l’on reçoit, tout ça, des mains mal utilisées dans la suspension du son de
la porte claquante, étanche. Des femmes que l’on regarde et d’autres que l’on
ne regarde pas, jamais, pourquoi, tu parles à qui, tu veux que je me taise, tu
miroites un reflet tragique de corps étendus entre deux couches, dans l’air,
l’air. Ne rien se dire mais parler quand même dans l’espoir que l’on se
comprenne, se comprendre c’est s’effrayer, le masque des théâtres incendiés,
utile ou agréable. Utile. Le prix des choses, celui que nous sommes prêts à
mettre, l’amour n’existe pas, ou peut-être que oui, l’amour comme un absolu,
une vague, tu te tais, tu sens ce que je dis, les varechs. La mer monte, un
trou dans la terre rempli de la mère, les marées de sentiments, les cheveux aux
vents, l’enfant sur la plage, il me reste des images, un film, celui-là, le
générique défile chaque nuit. Il n’y a plus de raisons, il y a des redresseurs,
la terreur. Pourquoi tu me regardes, il n’y a plus d’histoires, des fragments,
des villes étendues dans la fumée des incendies, des morts au milieu des
vivants, l’odeur, offre-moi les odeurs de ton corps pendant que nous sommes en
vie, dans la course je cherche la mémoire des sens, je veux me souvenir, je
veux t’emporter au-delà de la présence, je veux que tu vives à chaque instant,
je veux pétrir. Il y a des corps, des millions de corps, mais seul au milieu de
l’étendue, je meure ou je nais, naître, éjecter de l’habitacle, le cocon, les
mots automatiques, les liés à la fonction quotidienne, ces mots que l’on ne
mesure plus, l’habitude, je ne veux pas m’habituer, ne t’habitue pas non plus,
c’est impossible de s’habituer, s’habituer c’est réduire le champs des
possibles, émerveille, je veux voir nu, la chair libérée de la contrainte, des
pores respirant. Je veux répéter sans cesse des mots que je trouve beau, des
sonorités magnifiques comme certains prénoms, le lien inévitable de la mémoire
aux mots, aux prénoms. Il y a des sourires avec des dents, la comédie
dramatique, les guerres dans des déguisements, je tente d’oublier les rancoeurs
mais la tristesse est tenace. Courir, perdre haleine, se sentir presque mourir,
pousser jusque la falaise la frénésie de vivre, vivre à ne plus avoir peur de
mourir, la musique du claquement des voiles aux vents, le courant d’air un jour
de grande chaleur, la brise qui laisse intact, un seul morceau, un bloc, le
granit avec la fragilité du biscuit. Les récurrences, la fréquence des coups,
un caillou devenu galet, l’adoucissement des angles dans la solitude
nécessaire, accepter les limites, n’être que celui-là sans chercher à
ressembler, singulier à vivre, tellement près, là. Dire la même chose toute une
vie, chercher à exprimer, une obsession, dire. Il n’y a pas de titre, un
déplacement, des ronds-points, des échangeurs, des directions, des kilomètres
de route, des autoroutes comme des bouches, des enfants qui tirent des langues
sur des plages arrières à grande vitesse, je veux vite, tout de suite, exister,
ne pas venir pour rien, cet enfant, celui qui aime dans la confiance d’une
brisure, dans la séparation de la promesse, dans les mensonges comme des
exemples, l’enfant déçu de ses modèles, je vous aime, c’est toujours à ce
moment-là que je pleure, quand je vous dis que je ne peux faire autrement que
vous aimer, parce que je suis comme ça, malgré les blessures que l’on
insoupçonne. Au bout de la jetée, je passe des heures à écouter le fracas des
vagues qui s’écrasent sur les poteaux en bois, une avancée dans la mer sans se
mouiller, s’éloigner du bord sans risquer de se noyer, la noyade au milieu du
cri des réjouissances d’une plage, des hommes se noient dans le divertissement
quotidien, parfois à quelques mètres les uns des autres. Rien ne sert de faire
semblant, la semblance comme un a peu près de nous-mêmes, une silhouette floue
des violences, semblant. La voix dans son sérail, l’écrin de ce que nous
sommes, au milieu, le centre, un noyau, la vibrance des cordes au milieu des
gorges serrées. L’intensité solitaire d’un moment libre des regards, être.
mercredi 9 mai 2012
Je ne sais pas 9
9
L’eau coule dans les rigoles, les veines dans
le cœur des villes, les avaloirs comme des valves, tout s’oublie, tout
s’enfouit dans les artères des sous-sols, sous nos pieds coulent une rivière de
décantations, l’infusion quotidienne des êtres en marche, et, au milieu de tout
ça le bonheur de certains mais pas tous. La fonte, la décrispation, dans
l’urgence des sirènes, un banc public vide, plus le temps, le mobilier urbain a
ses heures de pointe. Les rues s’engorgent aux heures où les bureaux dégorgent
la marée humaine, nature morte, écrasée sous la pression des horloges. Le
bonheur et toute son approximation, les éphémérides et les horoscopes au hasard
de ce qui convient, le papier journal chiffonné d’une mauvaise nouvelle, les
retards au milieu des urgences, ne plus voir et répondre à l’injonction que
l’on avance, perdre le nord, des hommes sont abandonnés au pied des tours
pendant que la pointeuse additionne les retards. Le temps nous attend pour le
dernier râle, une vie enrhumée éructant quelques moments de bonheur. Le
bonheur, une plaine vaste sans correspondance, une surface plane remplie de
jeux d’enfants, le semblant, les strasses, des reflets miroitant, je ne sais
pas, plus, jamais. Une voix fausse et obsédante. Les hommes et les femmes pour
qui tout change, des rapports influés par l’inconnue, un recul, une avancée,
dans la complexité du langage et sa simplicité, des distances, la tectonique
des êtres, les grincements, les caprices sans cesse différents, poussés par le
vent, des congères figées sur le bord des digues de débordements. Il faut
contenir et se contenir. La complicité d’un chien et son maître.
mardi 8 mai 2012
Je ne sais pas 8
8
Le doute, la part de lumière et d’ombre du même
homme, le doute. Une crise, un oubli, une dissonance, le doute comme un
empêcheur, le doute transpire celui-là qui ne peut le surpasser, l’avortement.
L’éclosion saccadée d’une fleur aux premiers rayons du soleil, venir ou ne pas
venir, tout est question de départ, d’envol, de mort aussi. Vivre pour mourir
ou mourir pour vivre, qu’importe ils parleront de nous au passé, quoiqu’il en
soit ils n’auront pas le temps de regarder le présent, cet instant où tout se
joue, de l’ombre à la lumière, les corps de bronze. L’enfant passe sur la
plage, il n’a pas les cheveux gris, l’enfant ne connaît pas le doute, ce sont
des préoccupations d’adultes. Je regarde derrière, des champs et le sillon du
laboure, des veines, une poésie de l’image, une rythmique ondulatoire, la
contemplation, l’assurance de ce que l’on veut voir, le doute ressemble-t-il au
flou de la photographie de ce petit garçon au pull marin tenant son papa par la
main, une larme, je ne pensais pas un jour revenir jusque là, enfoui dans le
devant. Dans la course je veux rencontrer, je veux ce que je n’ai jamais voulu,
apprendre, peut-être pour repousser le doute lié au complexe, le complexe de ce
que je suis face à celui que je ne serai peut-être jamais et que je vois loin
devant, là-bas, le sentiment instable du moment où votre tâche terminée vous
doutez instantanément de sa qualité, incessamment vous réinstallez le
déséquilibre de ce qui est accompli, une destruction, rien n’aboutit, même vos
plus belles images perdent le sens et l’intensité, des vagues mortes. Le
tremblement. Le cadre, une force comme un élément restrictif, voyager au centre
et accepter de ne pas élucider, une énigme sans résolution, la solution se
trouve hors-cadre, la force de l’extruder, accepter la panique de n’être pas
dans les repères, accepter le doute lié à votre voix qui n’est pas celle des
autres, pas innovatrice mais tellement personnelle qu’elle vous fait peur, elle
installe le doute de l’incompréhension. S’incomprendre, écrire ce mot comme
s’il existait, il fait partie de mon langage, ne rien inventer, dire, dire
tellement que le doute n’existe plus. Le doute commence dans l’œil de l’autre,
celui qui vous regarde avec cet air désapprobateur, c’est là où le combat de la
persuasion s’installe, être assez fort pour ne pas vouloir forcer, accepter le
doute de l’autre et en faire une force, le forcer à s’extruder lui-même pour
tenter de comprendre, lui imposer son doute face à votre sincérité. La force
ressemblerait peut-être à ça, laisser le doute aux autres pendant que je
continue à arpenter l’inconnue de la résolution de moi-même, déconstruire sans
détruire. Un quotidien de confrontation entre les raisons d’hier et le progrès
d’aujourd’hui, l’acceptation du travail jamais fini et en perpétuelle
évolution, sans découragement, ne pas se laisser reconnaître pour continuer à
douter. Trouver l’engouement quotidien à découvrir l’image réelle dans la
contemplation nécessaire, le silence des autres et le nôtre, le silence et le
temps pour voir l’enfant passer sur la plage en hiver, assis sur un banc dans
le froid picotant, sans l’appeler, le regarder suffisamment pour s’en
approcher, le pull marin sur le seuil d’une maison, main dans la main. Ne plus
écrire tout de suite, le temps est nécessaire à l’éclosion de ce sentiment, la
mélancolie d’une fleur qui se fane sans que l’on sache si elle est annuelle, à
nouveau un départ, une mort peut-être. L’image d’une photographie plus forte
que la mémoire et l’oubli, je ne me souviens que très peu de cet homme qui
tient la main à cet enfant, je ne sais même plus si nous nous sommes connus et
pourtant nous nous sommes aimés, enfin je l’ai aimé sans jamais lui dire, ce
qui lui permet comme moi d’en douter. Ce qui est oppressant c’est de savoir
toutes ces personnes que nous avons aimées et que nous avons laissées dans le
doute, par la peur de leur dire l’amour, les non-dits cachés derrière ce mot
terrible que personne ne comprend réellement, quitte à se voir incompris il
aurait fallu leur dire.
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