mardi 15 mai 2012

Je ne sais pas 16


16

Dans l’encoignure, une plinthe et le carrelage, l’endroit où se niche la crasse, les résidus, les restes. Un biscuit sablé que l’on trempe dans le café, dans le fond de la tasse, la soucoupe ébréchée sur une nappe tachée, des auréoles comme des traces d’hier, c’est la cuisine, la cuisine et sa table, parler d’une vie, de celle-là qui traverse, la solitude du plancher, le vernis vieilli, les fauteuils fatigués dans un autre coin, la tapisserie noircie, le temps, toujours le temps, le temps, regarde toute l’inaccessibilité qui sépare, dans les questions qui effraient de la verticalité de la paroi, la réponse qui n’en est pas une, le nuage sucré, la voix du chanteur préféré, le soleil dans les carreaux éclaire la poussière sur le sol. L’habitude du regard à se frayer un chemin, l’imbroglio, ce à quoi on s’accroche, loin de la ligne, le souvenir de la maison de l’enfance et de son chaos, le vide, le vide pour vivre, un monde ailleurs, loin des gémissements de la vie, de cet animal qui meurt péniblement, de l’épanchement des misères, de la reconstruction d’un autre monde, à la recherche du sens, le sens, les aiguilles de la montre, vertical, verticale. La fenêtre, l’objectif, s’extraire, s’inventer autre et ailleurs, la course, l’évasion, la fuite à travers, effrayer de devenir, l’oppression, immortel de cette chevauchée fantastique, les bras courts, les manches relevés, la transpiration le long de l’échine, ferme les yeux, les herbes te piquent les jambes nues, toute la colère dans les poches de ce bermuda, ces points rageurs que l’on serre et qu’ils ne voient pas, ces coups de poing, les douleurs que l’on s’impose, la table soulève les poussières des jours passés, rares sont les retours, la mort, et tout ça malgré l’amour. Dans les visages la peine, le sang, le silence de toutes ces peines étendues sur les lèvres inertes, la vie muette de ceux que l’on ne connaît jamais, de ces passants, du hasard presque, le hasard, une nuit de brouillard sur les rives du fleuve, le lit comme un berceau, la couleur de l’eau, une mélancolique coulante dans le courant des bateaux, pas des bateaux, des péniches de transport, ici il n’y a pas de plaisance, un peu parce qu’il faut bien rire, des berges, le halage où les chevaux usés tiraient la charge des barges trop lourdes, il y a longtemps. C’est là, dans le long du fleuve, juste avant le pont, là, pas ailleurs, l’enfant assis à cette table des adultes, il doit se taire comme s’il n’entendait pas.

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