jeudi 10 mai 2012

Je ne sais pas 10


10

Il y a des langues dans des bouches. Des êtres étanches dont rien ne coule. Des odeurs. Un genre que l’on donne, des gifles que l’on reçoit, tout ça, des mains mal utilisées dans la suspension du son de la porte claquante, étanche. Des femmes que l’on regarde et d’autres que l’on ne regarde pas, jamais, pourquoi, tu parles à qui, tu veux que je me taise, tu miroites un reflet tragique de corps étendus entre deux couches, dans l’air, l’air. Ne rien se dire mais parler quand même dans l’espoir que l’on se comprenne, se comprendre c’est s’effrayer, le masque des théâtres incendiés, utile ou agréable. Utile. Le prix des choses, celui que nous sommes prêts à mettre, l’amour n’existe pas, ou peut-être que oui, l’amour comme un absolu, une vague, tu te tais, tu sens ce que je dis, les varechs. La mer monte, un trou dans la terre rempli de la mère, les marées de sentiments, les cheveux aux vents, l’enfant sur la plage, il me reste des images, un film, celui-là, le générique défile chaque nuit. Il n’y a plus de raisons, il y a des redresseurs, la terreur. Pourquoi tu me regardes, il n’y a plus d’histoires, des fragments, des villes étendues dans la fumée des incendies, des morts au milieu des vivants, l’odeur, offre-moi les odeurs de ton corps pendant que nous sommes en vie, dans la course je cherche la mémoire des sens, je veux me souvenir, je veux t’emporter au-delà de la présence, je veux que tu vives à chaque instant, je veux pétrir. Il y a des corps, des millions de corps, mais seul au milieu de l’étendue, je meure ou je nais, naître, éjecter de l’habitacle, le cocon, les mots automatiques, les liés à la fonction quotidienne, ces mots que l’on ne mesure plus, l’habitude, je ne veux pas m’habituer, ne t’habitue pas non plus, c’est impossible de s’habituer, s’habituer c’est réduire le champs des possibles, émerveille, je veux voir nu, la chair libérée de la contrainte, des pores respirant. Je veux répéter sans cesse des mots que je trouve beau, des sonorités magnifiques comme certains prénoms, le lien inévitable de la mémoire aux mots, aux prénoms. Il y a des sourires avec des dents, la comédie dramatique, les guerres dans des déguisements, je tente d’oublier les rancoeurs mais la tristesse est tenace. Courir, perdre haleine, se sentir presque mourir, pousser jusque la falaise la frénésie de vivre, vivre à ne plus avoir peur de mourir, la musique du claquement des voiles aux vents, le courant d’air un jour de grande chaleur, la brise qui laisse intact, un seul morceau, un bloc, le granit avec la fragilité du biscuit. Les récurrences, la fréquence des coups, un caillou devenu galet, l’adoucissement des angles dans la solitude nécessaire, accepter les limites, n’être que celui-là sans chercher à ressembler, singulier à vivre, tellement près, là. Dire la même chose toute une vie, chercher à exprimer, une obsession, dire. Il n’y a pas de titre, un déplacement, des ronds-points, des échangeurs, des directions, des kilomètres de route, des autoroutes comme des bouches, des enfants qui tirent des langues sur des plages arrières à grande vitesse, je veux vite, tout de suite, exister, ne pas venir pour rien, cet enfant, celui qui aime dans la confiance d’une brisure, dans la séparation de la promesse, dans les mensonges comme des exemples, l’enfant déçu de ses modèles, je vous aime, c’est toujours à ce moment-là que je pleure, quand je vous dis que je ne peux faire autrement que vous aimer, parce que je suis comme ça, malgré les blessures que l’on insoupçonne. Au bout de la jetée, je passe des heures à écouter le fracas des vagues qui s’écrasent sur les poteaux en bois, une avancée dans la mer sans se mouiller, s’éloigner du bord sans risquer de se noyer, la noyade au milieu du cri des réjouissances d’une plage, des hommes se noient dans le divertissement quotidien, parfois à quelques mètres les uns des autres. Rien ne sert de faire semblant, la semblance comme un a peu près de nous-mêmes, une silhouette floue des violences, semblant. La voix dans son sérail, l’écrin de ce que nous sommes, au milieu, le centre, un noyau, la vibrance des cordes au milieu des gorges serrées. L’intensité solitaire d’un moment libre des regards, être.

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