Je ne sais pas 35
35
Un homme nu sur le bord d’une falaise, seul,
affrontant le vent comme un oiseau, les pieds dans un mélange de terre et de sable,
dans la chute du jour, la musique est forte, aussi forte que la volonté de
voyage, dans la récurrence des vagues, les vagues, les enfants sont en
vacances, le corps dans la rythmique, il danse, le sourire, la conscience du
volume dans la résistance, dans les odeurs enrobantes, il danse, la peau se
couvrant d’un voile de sel, l’amour, l’amour, l’amour dans le manque, dans la
déstructure, dans l’envie de se voir, dans la vérité de ce qui nous dégoûte
l’un de l’autre, l’un de l’autre, les bras ouverts prêts à accueillir,
accueillir dans la naïveté des enfants, dans le présent loin des projections,
la solitude nécessaire, nécessaire, les amants pour la vie peut-être,
peut-être, ne rien certifier et rester sur le bord de la falaise dans la beauté
des éléments. Une chaise sur le quai d’une gare, une chaise c’est fait pour
s’asseoir et regarder passer les trains de marchandises, ceux qui ne s’arrêtent
pas, une chaise avec un sac à côté, des tartines et un thermos, du café fort
pour ne pas en rater un, ne pas fermer l’œil, le sourire des passagers qui font
signe, faire un signe à celui-là qui attend, le train, le bon, celui qui
l’emmènera ou qui le ramènera, toujours on revient, toujours le long des
fleuves, on revient. Qu’importe ce que l’on pense, il reste ce qui est, là
devant nous et que nous ne pouvons nier, l’évidence de la vie, telle qu’elle
est, dans l’urgence des interventions, dans les sirènes, à nous de voir,
d’entendre, de sentir, il n’y a pas de réponses, il faut regarder, regarder, le
recul nécessaire pour voir le soin des larmes nécessaires, la conscience de la
mort pour enfin voir la vie, au bord de la falaise, dans le vacillement, la
flamme chancelante d’une vie, dans la nudité d’un corps malmené, loin de celui
dont nous rêvions, dans ce qui nous sépare de l’image de la perfection, dans le
départ de ce qui ne devait pas rester, les scories, ne rien tenir, laisser
aller, ne pas s’interdire, se permettre de dire, être des enfants, vouloir le
bien de l’autre dans la violence de notre vérité, prendre position, ne pas
faire semblant que rien n’existe, considérer notre présence. Accepter la poésie
quotidienne de ce qui nous est donné à voir dans l’engrangement des images
belles de ne pas savoir qu’elles le sont, la beauté intime d’un moment que nous
sommes seul à voir, les yeux ouverts, les yeux ouverts dans le vertige de la
falaise quand une femme a le visage fermé de colère, la lumière, autre chose,
la lumière dans les paroles inutiles, il n’y a rien à ajouter, rien,
l’abstraction. Les miettes sur la table, la marque d’un passage, les miettes
des regards, les miettes, se contenter, non, ne plus se contenter, avant les
miettes quelque chose, un instant, le temps de se regarder, de se dire hors du
contentement, de se voir avant le départ, peut-être tout à l’heure ou bien plus
tard, avant nous voir, nous regarder dans l’entièreté, dans les plis, hors de
l’ennui et avant le temps nécessaire à se retrouver, l’odeur, olfactif, sentir
le corps dans l’intimité, cloaque, assoiffés de sels, le ventre tordant le corps,
les larmes jaillissent le manque, la mort presque, à quoi ça tient la vie,
l’espace d’expression de la matière, le chancre, les êtres se consument, il n’y
a pas de paroles, des gémissements au mieux, dans les rigidités de la
calcination, dans les cris de l’endormissement, le silence, l’effacement de
l’un ou de l’autre, vivre dans l’évanouissement de ce que nous croyions être,
il ne reste rien, le primaire, l’odorant, les animaux se lèchent, se lèchent.
Les hommes nus aux bords des falaises dans la douceur des peaux réchauffées au
soleil des jours d’abondance, dans le serrement des liens, dans la jouissance,
combien jouissent encore, combien se lèchent encore dans l’odorante présence,
dans le désir de ce qui dégoûte, aimer ce que nous sommes.
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