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Est-il possible. Est-il possible de se tenir au
bord de la falaise le regard haut, le front volontaire, libéré de la charge de
ce qui précède à notre insu, souvent rongé par cette peur de savoir et de
s’être trompé, ce que nous savons au plus profond bien avant l’obstacle, les
remords de n’être pas ce que vous attendiez, vouloir tellement vous contenter,
tellement à s’en oublier, s’en oublier, ne sachant plus où regarder, ne sachant
plus entendre sa respiration même, se répéter comme pour se convaincre, sans
cesse, la folie douce que de remplir une fonction plutôt qu’une autre, se poser
des questions, des questions à la suite des autres, un mouvement perpétuel.
Comment faire pour avancer libre au milieu des contraintes, libérer les mains
pour enfin les embrasser, les glisser sur les visages, se laisser caresser sans
en attendre plus des autres, les caresses dans la bagarre quotidienne, la bagarre
pour émerger où d’autres submergent, l’ambition peut-être, inutile ou
irraisonnée, la déraison de croire en cela que nous sommes, une entité
singulière dans une masse globale. Etre au pied de cette falaise et regarder
l’éperon rocheux avec envie, comme si cette place était la nôtre, l’accession,
mais il faudra grimper, apprendre, il faudra du temps, du temps, toujours le
temps, est-ce le perdre que de vouloir accéder à ce que nous ressentons comme
dû, coupable d’avouer les ambitions, les ambitions, le travail intimement lié,
la chute, comme pas prêt encore, pas prêt, ou insuffisant, insuffisant, quel
mot. Un rappel, qualificatif du paradoxe entre le potentiel et le travail réel,
dépasser ce point de maîtrise pour enfin se mettre à transpirer, le porte-à-faux,
l’inconfort, la délicatesse, le risque certainement, la fainéantise, le visage
se tourne en écrivant ce mot, honteux de savoir qu’il est approprié peut-être,
un regret de n’avoir pas, dans la maladresse de ne savoir pas, trop tard
peut-être pour trouver la voie, tous ces doutes me tuent et détruisent le
travail accompli comme une mémoire défaillante ne se souvenant de rien, un
effacement. Un effacement malgré la conscience de ce souhait de vous rejoindre
la haut, sur le pic et de regarder loin, l’horizon, l’horizon et ne rien sentir
vous arrêter, exulter dans la fougue d’un homme en liberté, la liberté dans une
cour grillagée, très jeune déjà le long du cours d’eau je voulais m’échapper,
partir où vous ne me retrouveriez pas, vous faire souffrir de la même
souffrance ressentie de n’être que là où je me trouvais, je rêvais de tellement
plus que cette respectabilité de pacotille qui reconnaît le courage des hommes,
j’aurais voulu que vous ayez peur de moi, que vous craigniez mon départ, que
vous ayez peur de me perdre, alors que je ressentais que mon absence n’aurait
rien changé, me demandant sans cesse pourquoi rester, sans le retentissement
espéré, celui de la naissance peut-être. Intime présomption d’y être malgré
eux, une présence inopportune, le démenti de la vie pour la vie, comme si la
mort faisait partie de moi dès le premier jour, comme si le rêve n’était pas
moi, un ailleurs au milieu de ce que je représentais, un empêcheur, dans les
pieds, alors souvent je me suis vu sur cette colline revenir en vainqueur et
terrorisé cette région qui n’avait pas su reconnaître en moi l’avenir, c’est
terrible, ceci justifierait l’erreur de mon parcours, tout ce chemin pour en
revenir là, au point de départ mais pire, un constat d’impuissance, l’échec, je
voulais être chef et je ne suis même pas soldat, est-il possible de continuer.
Une entité, seul, inconscient de l’amour à l’entour, cruel pour ceux-là, le
voilà mon éperon rocheux, l’amour dont je prive ceux qui me l’offrent,
l’injustice quotidienne de la frustration d’un homme seul, tout ça comme un
aveu vulgaire, il ne manquerait plus que je me mette à pleurer. C’est le moment
de reprendre la route, il faut que je travaille car il me reste la dignité de
n’être que celui-là que je suis, dans la posture douloureuse d’un corps figé
dans la lave. Et au milieu de tout ça il y a la beauté du jour, le cri.
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