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Les hommes chantent dans l’incendie. Il ne faut pas
mentir aux enfants. Les chambres d’hôtels sont vides dans les villes
abandonnées. Les barmans sont ivres de la beauté des femmes dans l’irréalité
des promesses de lendemains. Le monde s’accroche à ce qu’il trouve pendant que
les poissons dorment le ventre à l’air. Nous sommes tellement nombreux.
Enfermés, enfermés, le préjudice de l’éducation, les limites de notre vision,
le champ, dans la balance des couleurs, dans la saturation, les hommes chantent
dans les incendies, dans le vent des révoltes, ils s’attisent, des brindilles
de bois sec. Les océans noirs de ce qui fait avancer les bateaux, les yeux
fermés dans l’engluement des vagues, il n’y a personne et pourtant nous sommes
si nombreux, nombreux, il y a eux, il y a nous, une frontière déjà, des lignes
tracées par des fils barbelés, la libre circulation. Il y a les femmes qui
sentent bons et qui nous rappellent comme elles sont belles dans la nudité
d’une feuille craquant sous les doigts malhabiles d’un enfant, il y a vous, il
y a toutes celles qui font que nous sommes aujourd’hui, aujourd’hui, demain,
nous ne savons plus, hier peut-être, irréel, dans la virtualité des mots
échangés. Les numéros des chambres d’hôtels ont disparu, les palaces flottent
dans l’odeur des parfums, la brume a l’odeur du souffre, les matins se lèvent
encore sans vraiment savoir pourquoi et nous les suivons de manière inlassable
et mécanique, mécanique dans le vrombissement des voitures, dans l’explosion
des moteurs. Tu souris, tu souris, de ce côté-ci de la vitre tu souris, dans
les paysages idylliques, la beauté de la neige à côté de la chaleur du poêle.
L’émerveillement de ne pas se connaître, se voir sans se connaître, derrière la
vitre, ne pas s’alourdir de la charge, profiter de la beauté, se dire que
l’amour existe, possible, dans l’engagement. La chair, son odeur, je veux
sentir l’odeur des chairs, des lambeaux d’êtres humains, les femmes dans la
nudité d’un corps, se blottir sans plus bouger, respirer, dans la chaleur des
plis, sans parler, sans parler, sans parler, sans parler. Dans le bercement de
la lumière, dans ces instants ancrés, les enfants se tiennent par la main, les
femmes les arborent comme des étendards dans toute l’injustice des limites
infligées, une nuque dégagée laissant transparaître toute la fragilité,
inconnue, inconnue. La ville est belle le matin, à l’aube je traverse la porte
vers la rue, dans l’invitation du lever, un banc, un pont, le pont, le pont,
nous sommes nombreux et pourtant seuls parfois, seuls parfois, dans
l’appartenance mais seul, la mémoire des autres, ceux-là, les blessures, le nid
des oiseaux. La sonnerie de téléphone, nous ne sommes pas là, pas envie, pas le
temps, le temps de regarder passer les bateaux sur le fleuve en dessous du
pont, les bateaux aux portes des écluses, nous ne nous sommes pas dits au
revoir, nous ne nous étions pas dits bonjour non plus, votre image sur le pont
reliant les deux berges disparue dans la rainure des lattes, flottant sur le
cours d’eau avant de couler dans la mémoire, la mémoire imparfaite magnifiant
ces instants réels, la fiction d’un partage sans l’échange des odeurs, le
fantasme, et si rien n’existait excepté ce que nous inventons, les liens se
délient, la grande échappée.
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